Réflexions en passant « Sur les chemins noirs »
«Sur les chemins noirs » Sylvain Tesson. Paru en 2018 aux éditions Gallimard. Folio
Me revoilà sur le blog avec encore quelques courtes réflexions en passant ,sur une de mes dernières lectures. Sylvain Tesson, encore lui, m’aura pour le moins inspiré , tout au long de ce mois d’avril… Cette fois-ci ,après être restée avec lui 6 mois dans sa cabane au bord du lac Baïkal, ce sont sur des chemins de marche qu’il m’a emmenée et vous emmènera un peu par les mots que je laisse ici….
Une fois encore, vous me pardonnerez je l’espère, ces réflexions un peu livrées pêle-mêle, comme elles me sont venues pendant ma lecture et relecture de certains passages…je n’arrive pas toujours à bien ordonner mes propos …et après tout, il s’agit du reflet de ma pensée, alors…prenez les comme cela…
Rescapé d’une chute du toit d’un chalet d’un de ses amis, alors qu’il était ivre, les côtes brisées, vertèbres en miettes et crâne fracturé, victime de paralysie faciale, Sylvain Tesson est revenu à la vie. C’est corseté dans son lit d’hôpital qu’il dit alors cette phrase
« Si je m’en sors, je traverse la France à pied. »
Le temps a été un peu plus long que prévu. Mais un an après, au lieu de rejoindre un énième centre de rééducation, il se met en marche.
« Se rééduquer ? Cela commence par ficher le camp ! ».
Tout est dit.
Une géographie de travers, loin des routes, c’est cela qui l’attire.
Il part de la gare de Tende, dans le sud est de la France, vers le col. 2000 mètres d’altitude pour son premier bivouac…( je ne peux m’empêcher de penser à mes parents et surtout à ma mère pour qui le col de Tende et sa région est tout un sujet d’adoration ! Ce coin extrême de la France, le Mercantour. )
Entre la fin du mois d’août et le début du mois de novembre, ce ne sont pas loin de mille kilomètres qui seront parcourus, empruntant seulement les petits chemins « noirs », ceux là même indiqués sur les cartes IGN au 1/25000ème. Sylvain Tesson va littéralement à travers ce voyage, se réapproprier son corps. Parti du Mercantour donc, à travers les Cévennes, le Massif Central, la Normandie, il finira son périple dans le nord Cotentin .
La marche peut être salvatrice, on le sait, être l’activité par laquelle le corps et l’esprit vont pouvoir se réconcilier. Et par ces chemins noirs, ces sentiers, ces pistes , ces tracés historiques de la France rurale, il s’agira pour lui de recouvrer non seulement ses capacités physiques , mais aussi de profiter et de jouir de l’écoulement du temps, du silence et de l’immobilité. Ce voyage lui permettra un temps d’échapper à une société mondialisée.
Ces chemins noirs , ce sont ses chemins de la liberté.
Ce qui est extraordinaire dans les écrits de Sylvain Tesson, c’est qu’il trouve toujours le mot juste. On voyage avec lui.
Comment ne pas être d’accord avec lui lorsque il nous dit que le voyage à pied est une bonne leçon de géographie.
Son texte est aussi l’occasion pour lui de rappeler que la lecture des naturalistes comme Jean Henri Fabre et la contemplation d’un micro-territoire, tel un jardin, peuvent en apprendre beaucoup sur le monde.
Une deuxième réflexion apparaît au cours de ses chemins et de la lecture, une réflexion sur sa lutte contre le « dispositif » qu’il définit comme la somme « des héritages comportementaux, sollicitations sociales, des influences politiques, des contraintes économiques qui déterminent nos destins, sans se faire remarquer ». Ses chemins noirs deviennent alors ces cheminements mentaux que nous empruntons ou pourrions emprunter pour nous soustraire à l’époque. Une fois encore, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec notre situation de confinement…si celui-ci était à sa manière un chemin noir…dans notre façon de consommer, de nous informer, de ne plus nous laisser influencer, de nous soustraire à toutes sortes de contraintes, de rêver de nouveaux chemins…
« Il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur. » Jean Cocteau.
Par ce récit de marche à travers le pays, en suivant ces chemins oubliés, Sylvain Tesson esquive le monde. Aller à pied est une forme de résistance. On choisit la lenteur. On fait ce choix. En tout cas, il nous invite à le faire. Il nous invite même à aménager une « fuite » , au moins périodique et propose à chacun selon ses possibilités, un recours aux forêts, un retour à la nature. C’est encore une fois ni plus ni moins ce que le confinement nous permet de vivre d’une autre façon. Prendre les chemins de traverse. Contempler la nature.
Durant son périple , plusieurs amis se joindront à lui, l’un après l’autre, par étapes. L’un d’eux, entame une conversation sur la ruralité. Un point de vue des plus intéressants dans le fait que cette ruralité réside dans un principe de vie fondée sur l’immobilité.
« On est rural parce que l’on reste fixé dans une unité de lieu d’où l’on accueille le monde. On ne bouge pas de son domaine. Le cadre de vie se parcourt à pied, s’embrasse de l’oeil. On se nourrit de ce qui pousse dans son rayon d’action. On ne sait rien du cinéma coréen, on se contrefout des primaires américaines mais on comprend pourquoi les champignons poussent au pied de cette souche. D’une connaissance parcellaire, on accède à l’universel. » Cédric Gras
Sans être d’une ruralité profonde, extrême, je rejoins cette vue, je partage cette idée et aimerais plus encore m’en approcher. Accéder à l’universel de mon jardin…ou presque…
Sylvain Tesson connaîtra des passages difficiles dans sa marche, il est en rééducation, ses douleurs le poursuivent, ses blessures le contraignant parfois à s’arrêter….Mais à chaque fois, il repart. Et cette phrase de Vialatte de résonner si joliment
« L’escargot ne recule jamais. »
« Les phrases sont des prescriptions pour les temps difficiles. Toujours repartir. »
Qui n’a pas rencontré une phrase, un jour, meilleur remède contre ce qui pouvait empêcher d’avancer…phrase éclairante, phrase inspirante, élément déclencheur de grain de folie, de projet, d’idée…j’en rencontre si souvent !! et vous ? Quelle est la dernière phrase qui vous a porté un peu plus loin ?
Au cours de sa marche, l’auteur remarque que les chemins noirs sinuent toujours entre les verrues des plans d’occupation des sols. Aménagement du territoire. Réalité augmentée. Mais qu’adviendrait-il si tout le territoire était aménagé…Il m’apparaît encore plus essentiel de préserver cette nature sauvage, non domestiquée, territoire vierge de toute occupation ou marchandisation …le paysage a tant évolué ces dernières décennies…comment ne pas regretter ces étendues vertes, ces champs, ces arbres…disparus pour laisser place au béton et aux aménagements humains…
Je songe à notre jardin, dont certaines parties restent sauvages…il le faut…c’est essentiel…Notre jardin a cette part de chemins noirs en lui.
Et je repense aussi à ce plaisir intense que j’éprouve à prendre des chemins oubliés, interdits parfois ( chutttt… ) , sauvages, lorsque mes baskets m’emmènent courir ( un peu plus loin que pour le moment, confinement oblige… ).
Fin octobre, Sylvain Tesson arrive bientôt au terme de son voyage. Il longe la côte normande sur son côté ouest, du Mont St Michel jusqu’au cap de la Hague. Le Cotentin… c’est amusant, car ce coin de Normandie est un projet d’escapade prochaine que nous avons imaginé, en famille. Sylvain Tesson longe la côte, estimant avoir fait le bon choix. Sourd de l’oreille droite après son accident, il choisi la côte occidentale pour « jouir de la musique du ressac ». C’est cette ligne que nous suivrons, au rythme des marées.
« Être sourd d’une oreille n’est pas grave si l’on sait prévoir l’endroit où se tenir. A table, à l’orchestre, sur les péninsules, la vie est une question de positionnement. »
Il suit la ligne littorale et là encore je ne peux m’empêcher de penser à ce périple prévu en août sans doute avec ma nièce ( Claire ! j’espère tellement que nous pourrons partir sac au dos et chaussures au pied!!) qui cheminera , sur la côte d’Opale, de Sangatte à Wimereux. Trois jours de marche ( c’est bien peu par rapport à trois mois, j’en conviens, mais qu’importe…c’est le projet qui compte…) Trois jours pour toucher du bout des doigts, du bout des pieds même, cette expérience de chemins, balisés certes mais un peu noirs à leur façon.
J’aime à rêver devant les cartes IGN, imaginer les chemins, les reliefs, les contours…cela est bien loin de la réalité parfois mais rêver au voyage, c’est déjà beaucoup, c’est déjà être un peu parti, être un peu sur les routes…
Après bien des kilomètres dans les campagnes profondes, oubliées et souhaitant le rester pour certaines, Son arrivée vers la mer et la pointe, apporte une bouffée d’air frais, une bouffée d’iode et de marée…On s’y croirait presque…magie des mots et de l’esprit.
Cette ballade, rêvée dans un lit d’hôpital, Sylvain Tesson l’a accompli en se levant, en se mettant en marche. Ce voyage né d’une chute, comme il se plaît à l’écrire, lui aura apporté son lot de labyrinthe, de solitude, si précieuse, d’odeurs d’aubépines, d’écorces fraîches, de champs, de forêts. Ces chemins noirs empruntés ne devraient être , pour lui , et pour ceux chez qui son livre aurait pu résonner, que le commencement de nouveaux chemins, inventés hors des 25000èmes.
Même si je ne partage pas complètement tout à fait (ou pas encore…) sa vision de la longue marche comme un salut, une manière de se débarrasser d’un crabe, envahissant le corps et l’âme, j’aime beaucoup lorsqu’il dit :
« On devrait toujours répondre à l’invitation des cartes, croire à leur promesse, traverser le pays et se tenir quelques minutes au bout du territoire pour clore les mauvais chapitres. »
On peut marcher aussi pour le plaisir…de la randonnée, de l’aventure, de l’expérience, pour le goût de l’effort, pour la contemplation, pour le partage et la découverte.
Lorsqu’il clôt son parcours, son livre par ses mots : « Personne ne savait très bien ce que lui ( sous entendu au pays ) promettaient les métamorphoses. Les nations ne sont pas des reptiles : elles ignorent de quoi sera faite leur mue », cela n’est pas sans faire écho une dernière fois à cette situation de crise sanitaire, économique, écologique mondiale dont nous sortirons…mais sous quelle forme ? Là est la question…
Quels êtres humains seront nous ?
Quels chemins noirs ( noirs dans le sens : sentiers de traverse, oubliés, redécouverts…) déciderons nous d’emprunter ?
Ces routes, je les appellerai volontiers pour ma part « chemins verts », colorés d’optimisme, de foi en un monde meilleur, chemins ouverts dans la nouvelle ère du Symbiocène, l’ère de la symbiose, des relations de coopération entre les humains et leurs environnements, ainsi définie par le philosophe de l’environnement australien, Glenn Albrecht.
Mais cela est un autre sujet….j’y reviendrai sans doute, dans un autre billet….
Je vais aller marcher un peu dans mon jardin…en faire le tour…le soleil est revenu après le gris du matin…En attendant que les routes s’ouvrent de nouveau, c’est déjà beaucoup….
Et si vous souhaitez partager avec moi ce que vous auront inspirées ces quelques lignes, n’hésitez pas, ouvrez moi vos chemins de réflexions, de pensées…il est bon de parcourir les chemins que peuvent emprunter les mots aussi….
On se retrouve bientôt sur le fil…Avril touche à sa fin….
Ces chemins noirs sont ici des chemins de traverse salvateurs… dans ma tête ils résonnent plus comme des idées noires qui cheminent sur des passages secondaires… le noir peut finalement être lumière et révélateur de ce que chacun est au fond de lui … à l image de ce confinement qui exacerbe nos émotions positives ou négatives… sur le fil 😉 j ai retrouvé un peu l envie de lire… j en suis heureuse … je prendrai le temps de découvrir cet auteur que tu aimes tant … quand tu sortiras de ta cabane, pense à emprunter tes chemins noirs pour le faire en toute sécurité ❤
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Merci pour ton retour… Et heureuse de savoir que ton envie de lecture revient… Lorsque mes Tesson auront fini leur petit tour de famille, je pourrai te les prêter si tu veux 😉 bisous ma belle !!
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